« L’homme est plus grand que la guerre… Je retiens précisément les moments où il est plus grand qu’elle. C’est quand il y est gouverné par quelque chose de plus fort que l’Histoire…
…J’ai toujours été curieuse de savoir combien il y avait d’humain en l’homme, et comment l’homme pouvait défendre cette humanité en lui. Mais pourquoi alors un tel intérêt pour le mal? Peut-être pour savoir quels dangers nous menacent et comment les éviter ?…
…Ils sont toujours dans un autre espace que moi, à qui ils se confient. Au moins trois personnes participent à l’entretien : celui qui raconte aujourd’hui, celui que fut cette personne autrefois, au moment des événements, et moi. Mon but : avant tout obtenir la vérité de ces années-là. De ces jours-là. Une vérité débarrassée de toute fausseté de sentiments.
… Je n’écris pas sur la guerre, mais sur l’homme dans la guerre. J’écris non pas une histoire de la guerre, mais une histoire des sentiments.
…Sans doute certains formuleront-ils des doutes : les souvenirs, objecteront-ils, ça ne fait pas de l’Histoire. Ni de la littérature. Mais pour moi, c’est là, dans la voix vivante de l’homme, dans la vivante restauration du passé, que se dissimule la joie originelle et qu’est mis à nu le tragique de la vie. Son chaos et son absurde. Son horreur et sa barbarie. Tous ces éléments y apparaissent, vierges de toute altération. Ce sont des originaux. »
Svetlana Alexievitch, La guerre n’a pas un visage de femme (extraits du Journal de l’auteur, 1978-1985), dans Oeuvres, Thesaurus chez Actes Sud.