En rassemblant les pièces nécessaires pour le renouvellement de mon passeport canadien, j’ai remarqué comment mon visage, privé du sourire dans le regard et sur les lèvres, ressemblait de plus en plus à celui de ma grand-mère paternelle.
Digne fille du terroir québécois à l’époque de la “revanche des berceaux” (expression par laquelle les curés décrétaient l’obligation de la grossesse annuelle pour “sauver la race et la religion”), Rose-Aimée Duguay était l’une des survivantes d’une fratrie de… 32 enfants. (Je m’empresse de préciser que l’épouse du “1er lit” est morte en couches à son 24e; l’épouse du “2e lit” – petit nature faiblarde – est morte en couches à son 8e.) Les rares photos de Rose-Aimée lui donnait une apparence assez formidable. Il faut dire que, laissée veuve avec “seulement” 6 enfants, elle n’avait guère le temps de s’apitoyer sur son sort. De son enfance, elle se souvenait que “chaque année, il y avait un petit cercueil ou le petit berceau” et que sa promotion au rang de femme de ménage dans la grande ville de Montréal, puis son mariage à Joseph Beauchemin, avaient représenté des ascensions prodigieuses dans l’échelle sociale. Je me souviens aussi d’une visite à son village natal de Baie-du-Fèbvre pour assister à la migration des oies blanches où je suis passée voir la pierre tombale de la famille Duguay sur laquelle les mêmes prénoms se succèdent, d’enfant en enfant, à intervalles allant de 18 mois à 2 ans.
En contraste loufoque à ces vies anonymes, un article du New York Times ce matin dans lequel j’apprends que l’on peut se faire valoir sur Instagram en payant pour des “bravos” bidons produits par des robots. Personnellement, j’aurais les sous que je n’aurais ni compte Twitter ni compte Instagram. (Quand les gens se posent-ils pour…pour vivre ? Pour travailler ? Pour penser ? Pour lire ?) Dans le grand caravansérail virtuel, Facebook me suffit, avec ce blog occasionnel auquel je tiens pour des réflexions plus personnelles (mais que chacun peut y retrouver aussi, si bon lui semble.)
L’hymne national canadien (composé par un “Canadien-français”) parle de la “terre de nos aïeux”. Bien sûr, on en transporte une part sous tous les cieux. Mais pour certains, “terres” au pluriel rend mieux la réalité d’ identités, d’attachements et de déracinements multiples.
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“Our home and native lands”
In gathering together the items required for my Canadian passport renewal, I noticed how my face, devoid of its smile in the eyes and on the lips, looks more and more like that of my paternal grandmother.
True daughter of the Québécois soil in the days of the “revenge of the cradles” (expression the priests used as the decree to “save the race and the religion” through annual pregnancies), Rose-Aimée Duguay was one of the survivors of a brood of… 32 children. (I hasten to specify that the wife from the “first bed” died in giving birth to her twenty-fourth; the wife from the “second bed” – something of a weakling – died in childbirth on her eighth). In the rare photos I’ve seen of her, Rose-Aimée looked rather formidable. I must say that, widowed with “only” six children, she didn’t have much time for self-pity. Of her childhood, she recalled that “every year, there was a little coffin or the little cradle”. Her promotion to the rank of cleaning lady in the big city of Montreal, followed by her marriage to Joseph Beauchemin, represented a dizzying climb up the social ladder. I also recall, during a visit to her native village of Baie-du-Fèbvre for a view of the migrating white geese, seeing the Duguay family tombstone on which the same names show up, child after child, at intervals of eighteen months to two years.
In ludicrous contrast to these anonymous lives, an article in this morning’s The New York Times in which I learn that you can boost your popularity on Instagram by buying phony bravos produced by robots. Personally, even if I could afford them, I wouldn’t have a Twitter or an Instagram account (when do people stop to… to live? work? think? read?). In the big virtual caravanserai, Facebook is enough for me, along with this occasional blog where I jot down more personal reflections (but that anyone can find there too, if he or she so wishes.)
The Canadian national anthem (written by a “French-Canadian”) talks of “our home and native land”. Of course, you carry a part of it under every sky. But for some, “lands” in the plural gives a better sense of multiple identities, attachments and uprootings.