Dr Jacques Ferron 1921-1985

En ce moment, le navigateur Firefox publie le message d’entrée suivant: “On ne sait jamais ce que notre malchance nous a épargné de pire. – Cormac McCarthy, auteur américain anticonformiste.” (L’opinion concernant l’anticonformisme de Cormac McCarthy n’est pas la mienne, mais celle du web-machin chez Firefox.)

La phrase est tirée de son roman Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme. Chose certaine, dans mon cas, si jamais il me vient un doute concernant “le pire” duquel mes chances et malchances diverses m’ont permis d’échapper, je n’ai pas à chercher très loin. Je ressors ma vieille copie de La conférence inachevée *de Jacques Ferron et je relis Le pas de Gamelin qui débute ainsi: “Saint-Jean-de-Dieu, haut lieu de la folie, portait deux autres noms, complémentaires, Gamelin qui désignait la municipalité que l’asile formait à lui seul, et Longue-Pointe qui indiquait son emplacement sur l’île de Montréal, près du site de l’ancien parc Dominion, entre les raffineries nauséabondes et le village de Pointe-aux-Trembles.” En 1970, tout jeune médecin à l’époque, Jacques Ferron s’y occupa de plusieurs pavillons de “folles” avant que la “révolution dite psychiatrique” modifie le système de “gestion des fous” – dont plusieurs correspondaient plutôt à la catégorie des “anticonformistes” dans un monde où “la sagesse élémentaire …consiste à n’être point fou, du moins à n’en rien laisser paraître”, comme l’écrit Ferron.

 

À son époque et à celle de ses prédécesseurs, toute famille québécoise affligée d’un ou d’une anticonformiste avait la possibilité de lui faire franchir Le pas de Gamelin. Le voyage était à sens unique pour l’essentiel, d’autant plus qu’on y expérimentait les diverses formes de lobotomie supposées “guérir” fous et folles de leurs délires.

Non, je n’y ai pas séjourné, mais j’y ai échappé de peu, en grande partie grâce à ma soeur aînée que j’aime beaucoup et qui, en plus, a droit aussi à ma reconnaissance éternelle.

La conférence inachevée. Le pas de Gamelin et autres récits de Jacques Ferron. La couverture de ma copie est maintenant bien défraîchie et comporte aussi une des pastilles bleues que j’ai apposée sur les livres qui devaient absolument poursuivre le voyage avec moi après mon départ du Canada. Dans la préface, Pierre Vadeboncoeur dit ceci de l’écriture de Ferron, son vieux copain de collège: “Le point de vue de l’auteur dépasse le contingent, ce qui ne veut pas dire qu’il s’en évade. Ferron n’est pas indifférent envers ses personnages. Au contraire, il aime d’évidence les petites gens qu’il raconte. S’il y a distance, ce n’est pas celle de l’indifférence mais celle des choses du destin. Le style, mais aussi l’attitude et la pensée, chez Ferron, se rapportent à un drame appartenant aussi à un autre ordre de grandeur.” Quelque chose de tchékhovien, en sorte.

Dans ce volume, un autre des récits de Ferron s’intitule Les têtes de morues et débute ainsi: “Je ne les ai pas oubliées. Elles me reviennent du fond des âges, de plus loin que le mien, et se dressent de nouveau sous la lune d’avril, au bout de leurs longues perches, plantées dans les deux amas de neige qui flanquaient la maison, presque aussi hauts que le toit. Gueules béantes, elles se penchent et me regardent descendre. C’est en effet l’impression que donne cette demeure dès qu’on s’en approche – d’être à moitié enfoncée dans la terre, et qu’on doive descendre pour y entrer. ” (Il y entre, jeune médecin encore, pour aider à un accouchement – ou, du  moins, pour y assister. Le récit tient en 4 pages à la fois féroce,  profondément humain, sans esbroufe.)

Comme le résume wikipédia: Jacques Ferron (Louiseville – 20 janvier 1921 – Saint-Lambert – 22 avril 1985) écrivain, dramaturge, médecin, journaliste et homme politique canadien.

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On its entry page at the moment, the Firefox navigator publishes a French translation of the following: “You never know what worse luck your bad luck has saved you from. – Cormac McCarthy anti conformist American writer.”  (The opinion concerning McCarthy’s ‘anticonformism’ is not mine but that of the watchmacallit at Firefox.)

The quote is lifted from No Country for Old Men. In my case, one thing is certain: I don’t have to go searching very far should ever I have a doubt from which “worst” my various bits of good and bad luck allowed me to escape. I pull out my old copy of La conférence inachevée* by Jacques Ferron and I read through Le pas de Gamelin which begins like this: “Saint-Jean-de-Dieu, the high temple of insanity, bore two other complementary names, Gamelin which designated the municipality formed by the asylum itself, and Longue-Pointe which designated its location on the island of Montréal, near the former Dominion Park, between the stinking refineries and the village of  Pointe-aux-Trembles.” As a young doctor in 1970, Jacques Ferron was in charge of several of the women’s wards of “crazies”, prior to the “so-called psychiatric revolution” that modified the system for “managing crazies” – several of which were rather of the “anti conformist” category in a world where “elementary wisdom consists in not being crazy, or at least in not letting on that  you are,” as Ferron wrote.

In his day and in those of his predecessors, any Québécois family afflicted with an anticonformist could make him or her cross Le pas de Gamelin. It was a one-way trip for the most part, especially since it was a place in which various forms of lobotomy were experimented to “cure” the crazies of their madness.

No, I was never hospitalized there, but I had a close escape, in great part thanks to my eldest sister whom I love dearly and who is also the recipient of my eternal gratitude.

La conférence inachevée. Le pas de Gamelin et autres récits by Jacques Ferron. The cover of my copy is pretty battered by now and also sports one of the blue stickers I put on those books I knew must absolutely continue the journey with me after I left Canada. In the foreword, Pierre Vadeboncoeur writes the following concerning the writing of his old college buddy: “The author’s point of view goes beyond the contingent, which doesn’t mean he runs away. Ferron was not indifferent to his characters. Quite the contrary, he clearly loved the little people whose lives he related. If there is a distancing, it it not that of indifference but that accorded to matters of destiny.  Ferron’s style, but also his attitude and  thought relate to a drama at another level.” Something Chekhovian, in other words.

In this volume, another of Ferron’s stories titled Cod Heads begins like this: “I have never forgotten them. They come back to me from the depth of ages, from further back than my own, and stand once again under the April moon, at the top of two long poles stuck into the two snowpiles flanking the house, almost as high as the roof. With gaping maws, they lean down and watch me descend. For this is the impression one receives in approaching this home – that it is half sunk into the ground and that one must descend in order to enter.” (He enters, a young doctor again, this time to assist a woman in childbirth – or , at least, to assist at its unfolding. The story is told in 4 pages both ferocious, profoundly human, and devoid of all showing off.)

To paraphrase the French-language wikipédia entry: Jacques Ferron (Louiseville – 20 janvier 1921 – Saint-Lambert – 22 avril 1985) Canadian writer, playwright, physician, journalist and  political figure.

*Jacques Ferron, La conférence inachevée Le pas de Gamelin et autres récits, préface de Pierre Vadeboncoeur, vlb éditeur, Montréal 1987

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