Des amis me demandent parfois pourquoi j’écris mes récits en anglais puisque j’habite en France. La plupart du temps, je me contente de répondre que j’ai écrit en français pendant toute la durée de ma “période américaine”. Je ne peux que supposer qu’il s’agit d’ une forme de mise à distance par rapport au quotidien et donc, une forme de liberté pour l’écriture.
On me dit aussi: “mais alors, pourquoi ne pas traduire tes propres récits?” La réponse est beaucoup plus simple: je préfère en écrire de nouveaux. Rien d’autre à en dire. C’est comme ça.
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De tous les “acquis sociaux” conçus au cours des millénaires, la présomption d’innocence est l’une des plus précieuses, et des plus fragiles. Non pas que les humains naissent naturellement méfiants, bien au contraire. Mais une part importante de leur éducation consiste dans l’apprentissage de notions essentielles d’investigation et de sécurité. Parvenir à les inculquer sans détruire la confiance? C’est le grand enjeu lorsque l’expérience s’alourdit du côté du négatif. Par défaut, la présomption de culpabilité devient la position d’entrée, une position à partir de laquelle il ne peut résulter qu’une accumulation supplémentaire de négatif. Si quelqu’un vous aborde en vous considérant coupable d’emblée, comment pouvez-vous prouver votre innocence? C’est le serpent qui se mord la queue (et qui en veut à son propre venin).
Alors, comment briser le cercle vicieux? Je ne sais pas. De l’intérieur du cercle, ça paraît impossible. De l’extérieur…c’est-à-dire? En refusant le jeu de dupes. Ha-ha, facile, si facile, et comment “refuser”? En refusant de jouer. Mais encore? Je ne sais pas. Et ensuite? Je ne sais pas non plus.
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Encore une lecture en anglais? Eh oui. Tiré de The Guardian, cette fois, au sujet de la série télé américaine The Wire que je n’ai jamais vue, et des efforts d’intervention sociale de l’une de ses vedettes, Sonja Sohn (qui interprétait le personnage de la détective Kima Greggs dans un Baltimore gangrené par la violence). Dans Progess is Painfully Uneven, elle parle de cette réalité où “la présomption de culpabilité” joue à plein, alimentée par la drogue, les armes à feu, des écoles à la dérive et le manque d’emplois. Un habitant du quartier déclare qu’il n’a pas regardé la série parce que la vie est trop courte pour en perdre des bouts à regarder sa propre réalité reproduite à la télé.
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Au travers de tout ça, la vie se fraye son chemin parce qu’au départ, le petit de l’homme, il naît dans l’innocence. Et c’est là la seule (et la meilleure) chance qui lui soit donnée.
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Innocence
Friends sometimes ask me why I write my stories in English since I live in France. Most of the time, I simply say that I wrote in French during my whole “American period”. I can only suppose that it’s a form of distancing from daily life and thus, a form of freedom for the writing.
I’m often told also: “OK but why not translate your own stories?” The answer is a lot simpler: I prefer writing new ones. Nothing else to say about it. C’est comme ça.
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Of all the “social acquisitions” developed over the course of millennia, presumption of innocence is one of the most precious, and most fragile. Not that humans are born naturally wary, quite the contrary. But a good part of their upbringing consists in teaching them necessary skills of inquiry and basic notions of safety. Doing so without destroying trust? The challenge when experience overloads on negatives. By default, presumption of guilt becomes the entry position, a position from which nothing but a further accumulation of negatives can result. If someone approaches you and considers you guilty straightaway, how can you prove your innocence? It’s the snake biting its tail (and resentful against its own venom.)
So how to break the vicious circle? I don’t know. From within the circle, it seems impossible. From outside… what does that mean? By refusing to play a fool’s game. Ha-ha, easy, so easy, and how do you “refuse”? By refusing to play. What else? I don’t know. And then? I don’t know either.
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Another reading in English. Yep. From The Guardian this time, concerning The Wire, an American TV series I never saw and the social intervention attempts by one of its stars, Sonja Sohn (who played the rôle of Detective Kima Greggs in a Baltimore gangrened by violence.) In Progress is Painfully Uneven, she talks of a reality where “the presumption of guilt” is fully operational, fed by drugs, firearms, schools set adrift and lack of employment. A local inhabitant declares he didn’t watch the series because life is too short to waste any of it watching his own reality reproduced on TV.
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Through it all, life winds its course because, in the beginning, the child of man is born in innocence. And that’s the only (and the best) chance ever handed to him.