Pendant la saison des voyous/During Thugs’ Season

La saison des voyous. En fait, je devrais écrire: une autre, parce ce que, de saisons de voyous, l’humanité en a connu une flopée. De solutions, je n’en connais pas. À mon minuscule niveau hors des zones d’affrontement, je m’efforce tout simplement de ne pas trop me laisser impressionner par les récits de combats entre dinosaures en rut (“c’est qui le plus des forts, le plus des effrayants, hein? hein?”)* et de me prémunir aussi contre les gargarismes de bons sentiments.

Équilibre précaire, cela va de soi.

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Comme c’est congé, comme je ne peux m’éloigner du quotidien que par la lecture ou l’écriture, je fais un peu des deux. Côté lecture, notamment, je relis les notes d’André Markowicz dans Le Soleil d’Alexandre – le cercle de Pouchkine 1802-1841* et, pour l’heure, je reste sur deux citations. L’une, au sujet de La fille du capitaine, roman historique que Pouchkine avait consacré à la révolte de Pougatchov: “Une expression étrange revient sans cesse : Il n’y avait rien à faire. À lire et à relire ce que Dostoïevski lui-même considérait comme le plus grand roman jamais écrit en langue russe, on a l’impression d’être pris dans un tourbillon dans lequel il ne peut y avoir de salut pour personne.”

Et cette autre remarque, dans l’avant-propos, celle-là: “Alors qu’en France, depuis au moins Rimbaud, la poésie se construit sur la rupture, sur l’absence d’une mémoire collective, en Russie, depuis cette génération de poètes, depuis Pouchkine, la mémoire est, sinon le seul thème de la poésie, du moins un thème majeur. Dans un monde non humain, c’est la langue, et son expression absolue, la poésie, qui prennent en charge les valeurs fondamentales de l’humanité, c’est la poésie, qui, littéralement, permet de se sentir humain.”

Une chose est certaine au moins:  si solution il y a aux éternels retours des saisons de voyous, elle n’est pas dans les affrontements de plus en plus musclés entre dinosaures de mieux en mieux armés. Une visite à un Museum d’histoire naturelle devrait suffire à nous en convaincre.

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*Est-il même utile de préciser que dans ces combats, supposément pour la conquête ou la “protection” de la femelle, les mâles en question se prennent totalement à leur propre jeu? Pour s’en convaincre, il suffit de retenir cette parole édifiante du bonhomme en train d’asséner des coups de pied à une femme déjà au sol: “Je ne prêtais pas attention. Je croyais que c’était un homme. Jamais je ne frapperais un femme.” Tabasser un homme? Dans le merveilleux monde des dinosaures, c’est d’accord. Frapper une femme? Jamais…sauf si d’autres sont déjà à s’acharner sur elle. C’est dans cette analyse des vidéos tournés lors des attaques contre des manifestants, attaques lancées à Washington par la garde rapprochée du Président Erdogan avec le concours enthousiaste d’autres dinosaures de leur espèce. Nul besoin d’un niveau d’anglais très avancé pour comprendre le langage qu’on y parle.

** André Markowicz, Le Soleil d’Alexandre – Le cercle de Pouchkine 1802-1841, Babel, Actes Sud 2011

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During Thugs’ Season

Thugs’ Season. In fact, I should write: another one because humanity has known quite a few seasons of the thugs. Of solutions, I know none. At my minuscule level outside the areas of confrontation, I simply try not to be overly impressed by the tales of battles between rutting dinosaurs (“who’s the strongest of the strong, the scariest of the scaries, huh? huh?”)* and to guard myself also against garglings of finer feelings.

A precarious balancing act, this goes without saying.

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As this is a holiday and I can’t escape my habitual surroundings other than by reading or writing, I do a bit of both. Reading-wise, notably, I’m once again looking through André Markowicz’ notes in his Le Soleil d’Alexandre – le cercle de Pouchkine 1802-1841.** For now, my attention is caught by two excerpts. One concerns The Captain’s Daughter, Pushkin’s historical novel about the Pugachev rebellion: “An odd expression keeps re-occurring: there was nothing to be done. Reading and re-reading what Dostoyevsky himself considered to be the greatest novel ever written in Russian, one has the impression of being caught in a whirlwind from which there can be no salvation for anyone.”

And this other comment from the foreword: “While in France, at least since Rimbaud, poetry builds on rupture, on the absence of a collective memory, in Russia, ever since this generation of poets, since Pushkin, memory is, if not the only theme in poetry, at least a major one. In a non human world, it is language, and its absolute expression, poetry, that takes on humanity’s fundamental values, it is poetry which, literally, allows us to feel human.”

One thing is certain at least: if there does exist a solution to the eternal return of the Thugs’ season, it isn’t in ever beefier confrontations between better and better equipped dinosaurs. A visit to any Natural History Museum should provide all the proof we need in that respect.

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*Is there any point in specifying that in these combats, supposedly for the conquest or the “protection” of females, said males get completely caught up in their own game? As proof, the following edifying words by the man caught kicking a woman who is already on the ground: “I wasn’t paying attention,” he said. “I thought it was a man. I would never kick a woman.” Beating on a man? In the wonderful world of dinosaurs, that’s cool. But hitting a woman? Never…except if others are already setting against her. It’s in this analysis of the videos shot in Washington during attacks against demonstrators by President Erdogan’s close guards, with enthusiastic support from other dinosaurs of the same ilk. No need for advanced language skills to understand the body English involved.

** André Markowicz, Le Soleil d’Alexandre – Le cercle de Pouchkine 1802-1841, Babel, Actes Sud 2011

 

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