Les vies des autres/Other people’s lives

Je lis un reportage très fort et qui soulève une nuée de questions dans ma tête. C’est  dans le quotidien britannique The GuardianLe journaliste Mark Townsend y relate le parcours d’une jeune femme qui a quitté son Lancashire natal pour rejoindre les unités kurdes de combattantes qui affrontent les forces de Daesh tout en subissant les attaques de l’armée turque. Dans l’un des passages du reportage, la jeune femme se demande si elle ne se retrouvera pas un jour, arme contre arme, avec d’autres jeunes de son coin, partis combattre avec les djihadistes. (Je rajouterai le lien sur ma page Facebook pour ceux-celles qui peuvent le lire.)

Son commentaire inspirera certainement une réflexion à l’un des personnages féminins du roman sur lequel je travaille en ce moment. En effet, pourrait-elle se dire, c’est un peu comme si, en 1936 lors du conflit espagnol, les Brigades Internationales s’étaient constituées autant du côté des républicains que du côté de Franco. Face à face, les anciens compagnons de lycée. Les guerres civiles, c’est cela, qu’elles soient locales ou “internationalisées”.

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Changement d’échelle et de registre: une amie passe en coup de vent hier m’apporter un remboursement pour des dépenses engagées pour la défense d’une famille dont les parents sont menacés de déportation.  Elle court, elle court – comme d’habitude – mais un peu plus quand même car sa mère (un peu plus âgée que moi) s’est fracturée une épaule et une hanche et la copine doit courir la voir tous les jours à Albi. Sa mère est très souffrante et se plaint beaucoup du fait que plus personne ne s’intéresse à son sort. Sa vie se réduit comme peau de chagrin.  Il ne lui reste plus qu’à mourir dit-elle. Comme ces doléances sont antérieures à ses blessures, au bout d’un certain moment, sa fille lui dit que la meilleure façon d’éviter la “réduction de vie” c’est encore de s’intéresser à la vie des autres. Pratiquer le donnant-donnant (sans trop se préoccuper de l’aspect comptable ni du poids relatif des échanges en question.)

Son commentaire m’a rappelé une femme chez qui j’ai logé à plusieurs reprises lorsque j’étais de passage à Montréal par affaires. Elle avait dans les 80 ans à l’époque et vivait seule dans son appartement depuis le suicide de son mari, survenu trente ans plus tôt. Fervente lectrice de fiction en anglais comme en français, abonnée quotidienne aux journaux les plus diverses, tous les jours, elle quittait son fauteuil préféré en disant: “Je vais m’occuper de mes p’tits vieux.” Les “p’tits vieux” en question étaient tous plus jeunes qu’elle et hospitalisés près de chez elle. Elle allait leur faire la lecture, les écouter – la connaissant, les houspiller aussi, lorsque nécessaire.

“Je vais m’occuper de mes p’tits vieux.” Elle était bien consciente de son âge chronologique et de ses propres douleurs mais basta, pour elle les choses se passaient à un autre niveau, tout simplement.

Elle est morte maintenant. Je lui adresse quand même un salut amical.

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The lives of others

I read a strong article that raises a cloud of questions in my head. It’s in the British daily The Guardian. Journalist Mark Townsend describes the journey of a young woman who left her native Lancashire to join the Kurdish women’s fighting units battling ISIS while attacked by the Turkish army.   At one point in his report, the young woman wonders if she won’t find herself weapon to weapon some day with other youths from her region who’ve crossed over to fight with the djihadists.

Her comment will certainly inspire a reflection from one of the female characters in the novel on which I’m working at the moment. Indeed, she might say, it’s as if in the  1936  Spanish conflict, International Brigades had gathered both on the republicain side and on Franco’s. Face to face, old High School buddies. Such are civil wars, whether they be local or “internationalized”.

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Change of scale and of register: a friend blew in and out yesterday to deliver a reimbursement for expenses incurred for the defense of a family threatened with deportation. She’s running, running – as usual – but a bit more than usual because her mother (slightly older than I am) broke a shoulder and a hip, so the friend must run and run every day to see her mother in the hospital in Albi. Her mother is in pain, she complains about people no longer caring about her. Her life has shrunk and shrivelled. There’s nothing left for her but to die.   As these complaints pre-date the injuries, so her daughter tells her the best way to avoid a “life reduction” is still to show interest in the life of others. Practicing a win-win (without too much emphasis on the accounting or relative weight of the exchanges).

Her comment reminded me of a woman with whom I boarded several times when going through Montreal for business reasons. She was 80 years old at the time and had lived alone in her apartment since her husband’s suicide, thirty years earlier. An avid reader of fiction, both in French and in English, a subscriber to a most diversified mix of newspapers, she would rise from her favorite chair every day and say: “Off to take care of my old geezers.” The “old geezers” as she called them were all younger than she  and hospitalized near her place. She went over to read to them, to listen – and knowing her, to shake them up too from time to time, when needed.

“Off to take care of my old geezers.” She was well aware of her chronological age, her aches and pains, but basta, things simply occurred at another level.

She is dead now. I send her a friendly greeting anyway.

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