Il m’arrive à l’occasion d’acheter un livre salué par la critique et honoré d’un parmi la foultitude de prix saluant un nouvelle arrivée sur ce que Charlotte Delbo décrivait sous le vocable de “marché de la chose imprimée”. Je le fais pour me faire une idée de ce qui fait “tilt” dans la tête des éditeurs et des lecteurs qui les intéressent, et pour m’exposer à ce qui n’est pas “moi” – mon monde, mes idées, mes préférences, et cetera.
Dans le cas précis de mon dernier achat de ce type, je m’arrête à la page 322 d’un roman qui se poursuit jusqu’à la page 478. J’y reviendrai peut-être? Peut-être. Certains critiques prétendent qu’il y a une rédemption à la clé pour le personnage du monstre que l’auteur choisit de nous présenter de l’intérieur. Si tel est le cas, tant mieux pour le personnage.Pour un écrivain, donner vie, corps, pensées et émotions à un monstre est une tâche semée d’embûches. Non pas tant pour ce que l’exercice révèle sur le monde intérieur de l’écrivain – à certains niveaux du sous-bassement humain, tous les courants de l’abjection peuvent se croiser chez Monsieur et Madame tout-le-monde. C’est la transposition qui est délicate à réussir; en d’autres mots, le rendu. Au monde grand-guignolesque de cet auteur (aussi confidentielle que soit ce blog, je ne me sens pas encore de lui faire une publicité gratuite en le citant nommément), je préfère et de beaucoup revenir sur les rivages d’auteurs que je découvre ou encore de ceux que j’apprécie depuis des années.
Mouawad, par exemple. Wajdi de son prénom, dont j’avais vu l’une des pièces dans les anciens locaux du Théâtre d’Aujourd’hui à Montréal, au début des années quatre-vingt-dix. Wajdi Mouawad dont le premier tome de Littoral, Le sang des promesses* s’ouvre sur un préambule intitulé De l’origine de l’écriture où il écrit: “Avant tout, il y a eu rencontre… une fille un peu écoeurée, assise en face d’un type un peu perdu. Entre les deux (juste à côté de la bouteille maintenant à moitié vide), la soif des idées. C’est-à-dire le désir de se sortir, de s’extraire d’un monde qui cherchait trop à nous faire croire que l’intelligence était une perte de temps, la pensée un luxe, les idées une fausse route.”
Bref, “sur le marché de la chose imprimée,” au sensationnel, je préfère ce que Charlotte Delbo – encore elle – qualifiait quelque part de “vraie sensation, celle qu’elle lie à l’émotion” – celles sans lesquelles il ne saurait y avoir pensée qui vaille, ni exploration des hauteurs et des profondeurs de l’humain. D’accord, nous ne sommes plus à l’époque de Dante mais ça n’est pas pour rien que cet auteur-là avait choisi de se faire accompagner par un poète pour explorer les tréfonds de l’enfer…
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On occasion, I buy a book hailed by critics and honored with one of the many prizes bestowed to a new arrival on what Charlotte Delbo used to describe as “the market of the printed thing”. I do it to have some idea of what goes “tilt” in the head of publishers and of the readers they find interesting, and to expose myself to that which is not “me” – my world, my ideas, my preferences, etc.
In the specific instance of my latest purchase of this type, I’m stopping at page 322 of a novel that goes on to page 478. I might pick it up again later? Maybe. Some critics claim there’s a redemption awaiting the fictional monster the author choses to introduce to us from the inside. If redemption is forthcoming, so much the better for the character. For a writer, giving life, body, thoughts and emotions to a monster is a fraught exercice. Not so much for what it reveals of the writer’s inner world – at certain levels of the human sub-basement, all streams of the abject can flow inside Mr and Mrs Everybody. The delicate part is succeeding in the transposition; in other words, how the experience is rendered. To the gruesome world of this author (no matter how confidential my blog may be, at this point I feel no wish to give him free advertising by mentioning his name), I much prefer returning to the shores of authors I’m discovering or again, to those I’ve appreciated for years.
Mouawad, for instance. First name Wajdi, one of whose plays I’d seen in the old premises of Montreal’s Théâtre d’Aujourd’hui in the beginning of the nineties. Wajdi Mouawad whose first tome of Littoral, Le sang des promesses* opens on a preamble titled Of the origin of the writing in which he writes: “Before everything, there was a meeting… a somewhat disgusted girl sitting across from a guy who was a bit lost. Between the two (right beside the now half-empty bottle), the thirst for ideas. Which is to say, the desire to rise out, to extract ourselves from a world trying too hard to convince us that intelligence was a waste of time, thought a luxury, ideas the wrong track to follow.”
In short, “on the market of the printed thing”, to the sensational, I prefer what Charlotte Delbo – yes, her again – called somewhere “real sensation, the one that links to emotion” – without both of which there can be no thought worthy of the name, nor exploration of the heights and depths of humanity. All right, we are no longer in Dante’s times, but not for nothing had that author chosen to travel with a poet to explore the pits of hell…
*Littoral, Le sang des promesses, Wajdi Mouaward, Leméac, 1999 et Actes Sud Babel, 2009