“Quand les hommes vivront d’amour…”

“Quand les hommes vivront d’amour…”

Évidemment, pas un seul tyran ou apprenti-tyranneau ne lira Mes Indépendances de Kamel Daoud*. Je leur dédie pourtant ces mots tirés du texte introductif que Daoud a titré L’exercice du vif :

Écrire une chronique par jour vous impose, aussi, une discipline, une sorte de mode veille permanent, constant et tellement attentif. Une vigilance secrète que l’on développe peu à peu. Vous vous levez avec une partie de votre cerveau qui flaire les parages, cherche l’idée dans la tourbe, s’attarde sur des parfums ou des traits de visages, sur des lignes d’actualité. Chacun, dans ce métier, avait ses artifices pour contrer le blanc de la feuille : regarder, par exemple, le JT stalinien de la TV algérienne provoquait toujours un effet de rejet riche en mots et déclamations. Rien n’est plus inspirant que l’esthétique redondante de la dictature et ses produits dérivés (langue de bois, célébrations figées, TV, discours, candidats, factotums d’administrations, élections, etc.). D’autres cherchaient l’inspiration (cette vieille secrétaire du siècle, démodée comme les timbres) dans les fréquentations nocturnes, les excès, la lecture de journaux ou les comparaisons des bilans, le loufoque universel, le livre rare (on s’adosse à la littérature pour commenter le monde), ou le vide national d’un pays coincé entre un régime mort-vivant et des islamistes en armes ou en mode caché. Le vide comme esthétique? Oui, car les meilleures chroniques sont celles justement où on n’a pas d’idée, de thème préconçu au matin: silencieux et disponible, on se retrouve à commenter le vide, l’oisiveté nationale. C’est dire le réel, les façades d’immeubles, la vie quotidienne, les cafés, les traits et la rareté des arbres au pays des généalogies…” 

Et justement parce que ma tête n’est pas assez vide ce matin (trop de réel,  le cerveau peine à s’y retrouver), je laisse la parole à Kamel Daoud et à ses sources d’inspiration. Je le comprends  – la source des tyrans avérés  et des aspirants à leur succession n’est pas prête de se tarir. L’avalanche de papiers administratifs sur mon bureau, non plus.

Le titre? Tiré d’une chanson d’un “pays” à moi, Raymond Lévesque. (Mais, à son désenchantement – notion terrible pour un chansonnier – je préfère, et de beaucoup, le rire insolent des chansons de rue de tous pays.)

*Kamel Daoud, Mes Indépendances Chroniques 2010-2016, Actes Sud 2017

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