Sur le marché, j’échange quelques mots avec d’autres qui font partie d’une espèce de “cellule de veille” autour de gens menacés d’expulsion dans notre commune. Quelqu’un me dit: “tu n’as pas l’impression, des fois, de tenter de t’agripper à une vitre à la seule force de tes ongles?” L’image est parlante. Je la retiens.
De retour chez moi, je tombe sur ce très beau texte publié par Kedistan le 4 octobre 2016: İlhan Çomak 22 ans en prison sans jugement. Un récit kafkaïen, mais bien réel.
Dans l’une de ses lettres, Ilhan Çomak écrit: “Je considère toute voix qui s’élève et toute parole exprimée envers l’injustice et l’atrophie de la conscience comme la voix et la parole d’une résistance contre le Mal. Vous devez vous demander si le désespoir ne m’a jamais visité durant toutes ces années. Impossible de dire non. Bien-sûr. Il a frappé mon cœur et mon esprit bien des fois, profitant du silence et de l’insensibilité. Dans de tels moments, c’était un sentiment de désolation, plutôt que de me sentir seul. Puisque le mot désolation est plus fort que solitude. J’ai utilisé ce mot pour vous faire comprendre mon état d’esprit… Mais à chaque fois j’ai confronté mon désespoir aux mots du poète Mehli Cevdet Anday : «notre désespoir c’était pour nous de rester humains»…» Ilhan Sami Çomak
Alors oui, même si chaque fois, on a l’impression de s’agripper par les ongles à une vitre froide et impersonnelle, et même si – n’en déplaise au poème d’Apollinaire – la joie ne vient pas toujours après la peine, la moindre des choses pour des humains, c’est de le rester.
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Down at the market, I share a few words with others involved in a kind of “watch” over people in our town threatened with deportation. One of them says to me: “Don’t you sometimes have the impression that you’re trying to hang on to a window by the fingernails ?” The image speaks to me. I’ll bear it in mind.
Back home, I come across a fine text published (in French) by Kedistan on October 4th 2016 Ilhan Çomak 22 ans en prison sans jugement. A kafkaesque story, but only too real. (I refer the English reader here to a website giving information about him.)
In one of his letters, Ilhan Çomak writes: “I consider every voice that rises up and every word spoken against injustice and the atrophy of conscience as the voice and the word of resistance against Evil. You must wonder if despair has never visited me during all these years. It’s impossible to say no. Of course. Despair has struck my heart and my mind many times, taking advantage of silence and insensitivity. In those moments, it was a feeling of desolation rather than of solitude. Because the word desolation is stronger than the word solitude. I used that word so you might understand my state of mind…But each time, I confronted my despair to the words of the poet Mehli Cevdet Anday: “our despair was so we would remain humans”…”
Ilhan Sami Çomak
So yes, even if each time, you feel as if you’re hanging by your fingernails against a cold and impersonal pane of glass, and even if – despite Apollinaire’s poem – joy does not always come after sorrow, staying human is the least humans can do.