Mil neuf cent trente-neuf. Jorge a seize ans, il est en 3e et il écrit une rédaction que sa soeur a conservée malgré les “péripéties” comme il les appelle – vous savez, la Gestapo, l’Occupation, Buchenwald & cie, les fours crématoires et autres “détails de l’histoire de la 2e guerre mondiale”, comme a dit le papa de celle qui se présente aujourd’hui comme la Maman des Français qu’elle protégera sous son aile cot-cot-codec.
Toujours est-il qu’à ce moment-là, Jorge a seize ans et il écrit:
“L’homme, Montaigne l’a dit, est un ‘être ondoyant et divers’. Mais fallait-il se résigner et accepter cela sans objection ? L’homme serait donc un être sans continuité, une série d’états de conscience superposés et sans aucun lien ? Ne trouve-t-on pas au fond de soi-même un état immuable qui garde sa continuité, un mouvement intime changeant mais ininterrompu ?
On peut se poser toutes ces questions quand on entend dire que ‘tout’ change. “*
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Quoi qu’il en soit, dans le tintamarre ambiant de l’an deux mil dix-sept, je ressens un immense reflux vers les rives les moins admirables de l’expérience humaine, avec une croissance exponentielle dans le recours systématique au mépris et à l’injure comme mode d’échanges, avec appels multiples à en découdre encore davantage. Quant aux révélations sur les pires bassesses et les pires horreurs – viols, tortures, assassinats… sans parler des petits arrangements pour les nier ou les cacher à la vue … Les maîtres du désordre se régalent. Ça me fatigue.
Un peu court comme analyse?
Tout à fait. Peut-être devrais-je lire L’histoire d’un escargot qui découvrit l’importance de la lenteur. Mais voilà, c’est un jour comme ça et je ne traduirai pas ceci en anglais parce que je ne trouve pas une expression qui me convienne comme équivalent à “coeur en capilotade”.
Avanti, évidemment.
*Jorge Semprun, Adieu, vive clarté… Folio, éditions Gallimard 1998