Je ne parlerai pas ici des “situations” désespérantes et désespérées évoquées en matinée à la réunion. Ces “situations” concernent des personnes réelles aux prises avec des histoires de vie qui dépassent l’entendement – et qu’il faut pourtant entendre, ne serait-ce que pour y déceler la possibilité d’une faille dans le maillage des malheurs.
Comme toujours, je vais à ces rencontres munie d’un cahier, de crayons de couleur et d’un livre, saisi au hasard avant de me mettre en route. Sans même m’apercevoir que mon choix était sans doute dicté par la vue de la sculpture qui illustre ce texte, je suis arrivée à la réunion avec La Cybériade de Stanislas Lem. Et comme la sculpture s’intitule Le Traducteur, et comme La Cybériade raconte les aventures de Trurl et Clapaucius, robots déjantés et scientifiques redoutables, ce petit passage s’impose que j’ai partagé avec certains participants à la réunion:
Feureux qui comme hélice a trait un sot boyage
Ou comme pestui-là qui tronquait ma foison
et puis est recoursé, clin d’humage et plaison
givre entre mes garants le zeste de ton âge! *
(“L’électrouvère” du récit n’étant pas tout à fait à point, Trurl bidouille un peu plus dans les entrailles de la bête. Clapaucius remet la bête en marche et elle éructe:)
La mygale ayant famé sous l’épée
se prouva mort détrousue…”
Bref, grâce aux intelligences artificielles combinées de Trurl et Clapaucius, les ” tyrans de toutes les planètes” y sont presque: les messages dont ils souhaitent inonder leurs sujets ont quasiment l’apparence du vrai. ( Le polonais Stanislas Lem, maître de la science-fiction, écrivait La Cybériade en 1965. Rassurons-nous: on n’arrête pas le progrès et le faux-vrai a fait d’énormes progrès depuis).
Le 4e de couverture (et le texte) sont toujours d’actualité: “En cas de problème – si vos sujets vous manquent de respect, si vos voisins vous agacent, si vos courtisans vous barbent – n’hésitez pas à faire appel à Trurl et Clapaucius, les deux constructeurs cosmiques ! Avec leur imagination débordante, leur technique hyper-perfectionnée, leur science insondable, ils sauront toujours vous tirer d’affaire! “
Images tronquées? Messages détournés? Mensonges ré-emballés sous le nom de post-vérité? L’intelligence humaine a intérêt à demeurer futée.
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Bon, c’est pas tout, j’ai une traduction à livrer pour deux humains vrais qui ne font pas leur numéro devant les grands de ce monde et les tyranneaux cosmiques. Un p’tit espace public, un peu d’eau, un peu de contreplaqué et d’enduit et hop, que je te construise une petite fable “entre brique et Braque, de placo en funeste barque…une autre histoire, belle comme le sont les rencontres improbables.”**
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La sculpture en illustration de ce texte: Le Traducteur, oeuvre de Philippe Gigot, en exposition avec ses autres fétiches et totems jusqu’au 19 février à la Maison de Retraite Protestante de Montauban, 18 Quai Montmurat, Montauban – entrée libre tous les jours de 14h à 18h
*Stanislas Lem, La Cybériade, traduit du polonais par Dominique Sila, Folio SF, Gallimard 2004
** De l’or dans les mains, théâtre de rue pour tout public à partir de 7 ans, avec Olivier Luppens et François Berardino et la complicité de Hugues Delforge.