“Tu es pressé…”

“Tu es pressé d’écrire…”.Ce sont les premiers mots du poème Commune présence de René Char.

Pressé, tout court. Appels, messages (supplications, parfois; harcèlement aussi, à l’occasion). Pressé, pressé comme le citron. Pendant ce temps – ah lala, le temps. Temps d’attente, tant d’attente. Il n’en peut plus, le jeune, que je lui dise que je ne peux pas faire bouger les choses plus vite. Le temps le presse, et ses dix-huit ans qui pointent à l’horizon lui apparaissent comme une menace et non pas comme une projection joyeuse vers l’avenir.

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Pressé d’agir. Car le temps presse, c’est vrai.  Il y a les actions de mobilisation large, essentielle. Comme celle lancée par Tieri Briet et Ricardo Montserrat Galindo pour la libération de l’écrivain Asli Erdogan menacée d’emprisonnement à vie par le régime Erdogan. On en trouve les détails dans Un cahier rouge de Tieri Briet ou sur sa page Facebook.

Mais il y a aussi la gestion au quotidien de jeunes aux abois, coincés entre les rêves et les cauchemars qui les ont conduits jusqu’à nous, et les moyens si limités dont nous disposons pour les aider.

Une amie m’a écrit à ce sujet aujourd’hui. Avec son accord, je publie ses mots ici (en ayant retiré tout ce qui relevait du nominatif).

Quelques moments de rencontres au quotidien dans la commune présence:

Coucou Lucie,

Je voulais te faire un petit retour sur ces 3 jours avec X, qui m’ont donné à penser à pas mal de choses. Ca s’est bien passé : il est gentil, poli, il aide spontanément (vaisselle, ferme ses volets le soir…) et semble désireux d’apprendre. Je lui ai donné quelques livres pour enfants, avec un vocabulaire simple. Il m’a raconté n’avoir jamais été à l’école au Mali, et cela m’étonne car je le trouve très débrouillard avec son portable pour quelqu’un qui ne sait pas lire couramment. Il me dit qu’il comprend tout ce qu’on dit, mais en revanche, il ne parle pas bien le français, ou plutôt ne le prononce pas bien.

J’ai tenté, doucement, de lui faire comprendre qu’il devait, maintenant qu’il est majeur, prendre sa situation en main. Qu’autour de lui, des gens peuvent l’aider, mais que la meilleure chose pour lui, c’est qu’il fasse des progrès en français pour mieux pouvoir s’exprimer, se dépatouiller des situations qu’il doit affronter, et réussir sa formation future. On a eu hier une conversation un peu plus poussée à ce propos, et il s’est un peu énervé contre le système, du fait que son patron veut l’embaucher mais qu’on le lui refuse. Et aussi contre moi, parce que je tentais de lui faire comprendre que c’était comme ça (les lois, les obligations de scolarité, la nécessité d’apprendre).

Il semble en colère, ce que je peux comprendre après les rejets qu’il a subis, et je n’ai pas appuyé là-dessus, préférant mettre l’accent sur le fait que le foyer l’avait accueilli pendant plusieurs mois, et qu’il fallait à présent se tourner vers autre chose.

Mes interrogations, après tout cela, portent sur 2 choses (peut-être qu’elles sont personnelles, peut-être que d’autres qui accueillent les ressentent aussi) :

L’aide qu’on peut apporter/ le poids que cela suppose : je suis passée par plusieurs phases avec X, comme avec A : 1/la prise de contact, la prise en compte de sa situation, son histoire forcément compliquée (écoute, compréhension, compassion) ; 2/le sentiment d’oppression, voire d’accablement en évaluant le chemin qu’il va avoir à parcourir pour se faire une place en France (évaluation de sa situation par rapport à ce que je sais des difficultés présentes et à venir, et sentiment de solitude car lui n’en a qu’une conscience partielle) ; 3/recherche de solutions (dans la solitude aussi vis-à-vis de lui, bien qu’en liaison avec toi, le groupe de soutien, etc.), solutions d’urgence (où va-t’il dormir ce soir ?) et à plus long terme (formations,  comment rentrer dans les clous, etc.).

Lui, sa nature et sa culture : je ne sais où se situe la frontière entre l’une et l’autre, mais ce qui me frappe (comme avec A), c’est d’une part sa dignité (toujours ou presque calme, réfléchi, la tête et les épaules droites) et sa passivité (ne faisant rien de toute la journée sauf ce qu’on lui propose, se reposant sur les personnes qui l’entourent, son seul désir manifeste étant d’aller voir ses amis maliens l’après-midi, et très important, ne parlant que lorsque je lui pose une question). Ayant eu 3 enfants de culture occidentale à la maison, et sans vouloir comparer ce qui n’est pas comparable, je dois dire que je suis désemparée de voir l’énorme différence en termes de communication, de curiosité, d’intérêt, de spontanéité…

Je voulais te raconter tout cela, car je crois qu’il y a beaucoup de questions que cela remue chez chacun des accueillants (j’en ai brièvement parlé avec N, qui a fait un peu les mêmes constatations), et des questions sur l’aide qu’on peut/ qu’il faudrait apporter, parce que même l’aide d’urgence suppose qu’on puisse faire face à la détresse du jeune, avoir quelques notions juridiques, linguistiques, etc.

J’espère que cela pourra aider aux discussions du groupe. Je ne l’ai pas envoyé à tout le groupe, parce qu’il me semble que c’est un peu « privé » comme ressenti…

Des bises

“Un peu privé”. Mais justement, nous sommes dans le domaine de l’humain. Je crois que nous ne sommes pas les seules à nous poser ces questions du comment accueillir pour favoriser des envols.

 

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