C’était au temps où j’avais vingt ans. Eh oui. En ces temps reculés, j’habitais au Québec et quand les sous le permettaient, j’achetais une copie du Nouvel Observateur pour la chronique de Delfeil de Ton. J’aimais bien ses chroniques. En lisant une saillie de Raymond Queneau ce matin, m’est revenu le souvenir de ces temps reculés: “L’humour est une tentative pour décaper les grands sentiments de leur connerie,” a dit Queneau un jour. Vaste programme – on n’en terminera pas aujourd’hui.
Toujours est-il qu’hier, j’ai acheté une copie papier de ce qu’on appelle L’Obs maintenant – on l’appelle L’Obs because c’est plus trendy que Le Nouvel Observateur ou le Nouvel Obs. (Ils ont peut-être pensé à l’appeler L’O, mais ça risquait de se confondre avec l’histoire de cette dame qui adorait se faire tabasser, ligoter et trucs fun du genre.)
Bref, dans la section Business, j’avoue que ça m’a fait ni chaud ni froid d’apprendre que Gattaz préfère Fabius à Aubry. Pas plus que je n’ai bronché fort à la perspective d’un François Bayrou, premier ministre d’Alain Juppé. Attendons la suite, me suis-je dit, le jour où la nièce Marion mènera le putsch contre sa tante Marine et que les marinières à rayures fines affronteront celles à rayures larges à savoir lesquelles sont les plus françaises de toutes les marinières à rayures.
Là où j’ai tiqué (because le reste ne valait pas la dépense), c’est à la page Tendances. A la page Tendances, j’ai d’abord cru à un publireportage, mais non, l’article est signé et tout et tout. L’article présente “la dernière tendance pour se déplacer”, un truc casse-gueule par excellence qui s’appelle un skate électrique. Attention! à la condition d’éviter les chaussées glissantes, les nids de poule et les trottoirs défoncés, de maîtriser la technique du freinage d’urgence, de porter un casque et une combinaison de cycliste, il ne vous en coûtera que mille cinq cents euros pour cette “touche ultime” à votre quoi? A votre personal branding. On voit déjà la manif, n’est-ce pas, avec des skates au personal branding plus personal que celui du voisin. Eh! Touche pas à mon skate!
Bref (je répète), il fut un temps, mais j’avais vingt ans, où j’achetais Le Nouvel Observateur pour me régaler des chroniques de Delfeil de Ton. Dans ce numéro, D.D.T. parle de son ordinateur, made in America qui lui parle ainsi: “Mince, l’onglet a planté.” Un ordi américain qui dit mince, ça fait cool.Et puis, à Los Angeles, le “gourou capillaire des Kardashian” a lancé un shampoing qui s’appelle OUAI (sans le s) because ça fait tellement frenchie qu’on en viendrait presque à Paris juste pour le thrill d’y distribuer ses bijoux.
(Après ce bref séjour au merveilleux pays du commerce et des médias, je retourne à mes personnages dont certains se demandent en ce moment où ils passeront leur prochaine nuit et ce qu’ils mangeront d’ici là. Je sais, c’est pas trendy. C’est comme ça. On s’arrange pour rigoler quand même.)