Fatiguée par des enfantillages incompréhensibles, du coup, je sors La conférence inachevée de ma bibliothèque, car j’ai envie de relire Jacques Ferron. Ecrivain que personne ne semble connaître ici en France. C’est sans importance. De toute façon, il y a belle lurette que je ne me préoccupe plus de “ce qui se lit” et de “ce qui ne se lit pas “dans ma terre d’adoption.
Médecin, humaniste, polémiste, socialiste et pacifiste québécois, Ferron s’était inspiré de Ionesco pour fonder le premier Parti Rhinocéros. Entre autres engagements électoraux, le parti promettait d’abolir la loi de la gravité, de fournir une éducation plus élevée aux Canadiens en construisant des écoles plus hautes et à instituer l’anglais, le français et l’analphabétisme comme les trois langues officielles du pays. Promesses dont tout candidat à toute présidentielle pourrait fort bien s’inspirer.
Ferron écrivait aussi, entre autres, Le pas de Gamelin, longue nouvelle inspirée de son séjour à titre de médecin à l’hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu de Montréal. Un texte aux résonances particulières pour moi car c’était “l’asile” dont était menacée toute personne réfractaire aux injonctions péremptoires et autoritaires.
Mais ce soir, je ne lis pas Le Pas de Gamelin. Je lis la nouvelle La petite carmélite. Récit d’une petite fille d’environ huit ans, pas plus sourde que vous et moi, affligée d’une maman dure d’oreille – et bien consciente du fait que la visite médicale devrait viser la mère, et non pas sa personne à elle.
J’en cite ici la fin: “… Il me semble apercevoir un peu de malice chez la petite sourde, mais surtout l’air de plaindre cette pauvre femme qu’est sa mère, pour laquelle elle a de la tendresse et de la considération. Il faudra que moi de même je reste respectueux dans mon blabla explicatif.
-Vous savez, chère Madame, il survient des troubles passagers chez un enfant. Qu’est-ce qu’un enfant? Un petit être qui change et peut attraper en passant dans un courant d’air un tic dont il se débarrassera par lui-même si vous n’en faites pas cas. Votre fille vous fait répéter, parlez-lui moins souvent, disons deux fois moins…Vous verrez, Madame, c’est aussi simple que ça – simple comme tout.
Et la dame, un peu dure d’oreille, s’en alla avec sa gentille fillette qu’elle, toute la première faisait se répéter. Sourde complète, elle l’obligerait à devenir carmélite. Tout donner, c’est le métier d’une mère.”*
Jacques Ferron. Dont la lecture, il y a de cela des années-lumière m’a confortée dans la certitude que l’écriture n’existait pas pour faire joli ou spectaculaire. Qu’elle existait pour affirmer le vrai dans son absurdité, sa tendresse, sa cruauté et sa duplicité.
*Jacques Ferron, La conférence inachevée, vlb éditeur, Montréal 1987