“Pour une fois dans votre vie, parlez d’une voix humaine.”

“Ce qui m’intéresse, c’est le petit homme. Le grand petit homme, pourrais-je dire, car la souffrance le grandit. Dans mes livres, il raconte lui-même sa petite histoire et, en même temps que sa propre histoire, il raconte la grande histoire. Ce qui nous est arrivé et ce qui nous arrive n’a pas encore été pensé, il faut le mettre en mots. Pour commencer, il faut au moins le mettre en mots. Cela nous fait peur, pour l’instant, nous ne sommes pas encore en état de nous débrouiller avec notre passé. Dans Les Démons de Dostoïevski, en préambule à une conversation, Chatov dit à Stavroguine: “Nous sommes deux êtres qui nous rencontrons hors du temps et de l’espace…Pour la dernière fois ici-bas. Laissez tomber votre ton, prenez-en un qui soit humain ! Pour une fois dans votre vie, parlez d’une voix humaine.”

C’est a peu près ainsi que débutent mes entretiens avec mes personnages. Bien entendu, une personne parle depuis son époque, elle ne peut pas parler depuis nulle part. Mais il est difficile de parvenir jusqu’à l’âme d’un homme, elle est encombrée des superstitions, des partis pris et des mensonges de son temps. De ce qu’on entend à la télévision, de ce qu’on lit dans les journaux.”

Svetlana Alexievitch, À propos d’une bataille perdue, discours de Stockholm, dans La Fin de l’homme rouge, Babel, Actes Sud 2013

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