“Chère Marietta Sergueevna !”

“…Ce sont ces conversations qui se prolongent dans mon Voyage. Le monde matériel – la réalité – n’est pas quelque chose de donné, mais naît en même temps que nous. Pour que le donné devienne réalité, il faut, au sens littéral du terme, le ressusciter. Telle est bien la science, tel est bien l’art.

C’est l’amitié que j’éprouve pour le héros de mon quasi-récit qui m’a aidé à faire ce travail de résurrection. La  plus intime de nos qualités m’a aidé à faire un saut dans l’objectivité, tel que je n’aurais même pas pu l’imaginer. Qui suis-je? L’ennemi illusoire de la réalité, son renégat illusoire. On peut souffler sur le lait, mais souffler sur la vie est un peu ridicule…

Qu’advient-il quand un homme hostile au lait crayeux et odieux d’une semi-réalité est déclaré ennemi de la réalité comme telle ? C’est ce qui s’est passé avec mon ami Boris Sergueevitch Kouzine, zoologiste moscovite et zélateur de la biologie. Ma nouvelle prose et toute la dernière période de mon travail sont imprégnées de sa personnalité. C’est à lui et seulement à lui que je dois d’avoir introduit dans la littérature la période dite de “maturité” de Mandelstam.”

Ossip Mandelstam, lettre à Marietta S. Chaguinian, Moscou, 5 avril 1933 au sujet de Voyage en Arménie, dans Ossip Mandelstam, Lettres, Solin/Actes Sud, 2000.

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