Le monsieur est un notable d’une petite ville, quelque part dans la grande région qu’on appelle dorénavant Occitanie. Ancien maire aussi, et habitué d’être au centre des salutations, des invitations et des sollicitations qui accompagnent le statut de notable, que la ville soit grande ou petite. Bref, il a une excellente réputation et il a fait “ce qu’il a pu”.
Un “ce qu’il a pu” qui s’est soldé par un vingt euro pour le papa et de gentilles pincettes sur les bonnes joues des deux “adorables fillettes”. Avant ce grand moment de partage, il s’était délecté de mes explications sur le sort réservé aux indésirables et ne s’était pas privé de partager des “informations venues en droite ligne des autorités locales”. Est-il besoin de préciser que les informations comportaient un petit noyau de vérité gonflé des pires supputations possibles. Le tout justifiant l’expulsion d’une famille de cinq personnes dont la mauvaise réputation s’appuie dorénavant sur les opinions éclairées de l’ensemble des notables de la petite ville en question.
Que les trois adultes de cette famille soient de commerce difficile, je peux en convenir d’autant plus facilement que je partage leur quotidien depuis plusieurs jours. Ils vivent dans l’urgence et ne dévoilent de leur parcours que ce qu’ils croient utile à leur survie immédiate. Leur galère n’est pas d’hier. Je ne connais pas des masses de personnes qui se construisent de façon harmonieuse dans des circonstances catastrophiques.
De toute façon, dans le contexte actuel où l’enfant, l’ado ou l’adulte le plus adorable et méritant qui soit se retrouve à la rue sans argent, sans recours et avec l’approbation tacite des gens “bien”, personnellement, je n’en suis pas à distribuer des certificats de bonne conduite. La bonne conduite se résumant, le plus souvent, à baisser la tête et à disparaître sans faire de bruit.
Raison pour laquelle j’ai bien apprécié la réaction du médecin de garde et des ambulanciers hier soir quand ils sont venus au secours de la grand-mère pendant que je faisais de mon mieux pour servir d’interprète depuis l’arménien et le russe en passant par l’anglais pour arriver au français. Tout le monde se fichait bien de connaître les détails de vie de cette vieille dame malade, autre que ceux concernant ses signes vitaux, ses antécédents médicaux et ses intolérances médicamenteuses.
“Au village sans prétention” de la chanson de Brassens, ils ont mauvaise réputation. Mais bon, quand le père a reçu le billet de vingt euro du notable comme une gifle, je lui ai dit en anglais: “une gifle, tu ne peux pas l’échanger contre de l’essence pour la voiture. Allez hop, disons merci monsieur, et partons vite d’ici.” En essuyant le sable de nos sandales,
et vogue la galère.