Pour les deux petites, c’est un peu comme un camp de vacance ici: des champs, des fleurs, des légumes, des fruits; de l’espace où courir. Pour les adultes, un répit: un toit, de la nourriture, un temps pour souffler et poser toutes les questions qui s’imposent. L’heure n’est pas aux embellissements. Leurs recours sont quasi inexistants et c’est le travail de leur avocat de les explorer. De mon côté, j’accompagne, quand j’ai des réponses, je les donne, quand je n’en ai pas, je le dis.
Je demande : Et pour vous, le retour au point de départ est envisageable? On m’explique pourquoi il ne l’est pas. Nous irons ensemble chez l’avocat la semaine prochaine. Nous ferons au mieux pour alléger les douleurs de la grand-mère. Les petites ne demandent qu’à jouer et à engranger du bonheur, et nous ferons cela aussi.
Les hébergeurs qui nous confient leur maison pouffent de rire en me voyant arriver avec mon cageot à légumes rempli de livres. Considérant l’étendue de leur bibliothèque, la chose est comique, c’est vrai…mais. Mais ils n’ont pas Finnegans Wake, ils n’ont pas les Lettres de Mandelstam, ni les autres titres que j’ai apportés. Ce qui ne m’empêchera pas de piocher dans leurs réserves…et de reprendre, entre lectures et conversations, l’un des fils de mon nouveau projet de roman, en chantier depuis plusieurs mois déjà.
Fenêtre ouverte, le vent dans les feuilles du marronnier leur fait produire un bruit de papier froissé.
“Et pourquoi le retour est-il impossible,” ai-je demandé ensuite, après le passage obligé au travers des monceaux de documents administratifs. On me l’a expliqué.
Ce soir, en y réfléchissant, j’ouvre un livre posé sur ma table de travail et c’est un certain Faussone qui répond pour eux: “Le pays, peut-être que vous allez le deviner, comme ça vous perdrez rien; mais si je vous le dis, moi, le pays, ça risque de m’attirer des ennuis, parce que là-bas ce sont des braves gens, oui, mais un peu susceptibles.”*
*Primo Levi, La clef à molette, traduit de l’italien par Roland Stragliati, 10/18 collection domaine étranger, ©Julliard pour la traduction française, 1980.